exposing the dark side of adoption
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Un couple et deux gamins en plein tourment

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Les D. ont adopté à Bangui deux enfants. Qui n'étaient pas orphelins.

Oscar et sa petite soeur Marlène sont arrivés en Haute-Savoie le 22 décembre dernier. «Une période magique pour accueillir des enfants», assure la présidente de l'association qui a organisé leur adoption en République centrafricaine. Pourtant, Marlène, 2 ans, refusait obstinément de communiquer, «elle était d'une tristesse insondable», raconte Sylvie D. Quand Oscar, 5 ans, a découvert les jouets tout neufs qui l'attendaient dans sa nouvelle chambre, «il a fait la tronche». Cela faisait des années que Sylvie et son mari Stéphane attendaient ce jour. Les semaines suivantes ont été un enfer. Oscar frappait sa petite soeur, il était odieux avec ses «nouveaux parents» et leur semblait anormalement mûr, «déloyal». «La petite, elle, nous rejetait. Nous avons pensé que ces deux orphelins avaient dû subir de graves traumatismes, que le temps allait arranger les choses.»

Prostrés et fugueurs

Oscar ne s'appelle pas Oscar mais Freddy, et le vrai prénom de Marlène est Love. Ils n'avaient pas 2 ans et 5 ans à leur arrivée, mais 5 ans et 10 ans et demi. Leur mère n'était pas morte du sida ni le père disparu en brousse, comme l'avait affirmé l'association «Rayon de soleil de l'enfant étranger». Quand, au bout de quelques semaines, Oscar-Freddy a su mieux s'exprimer en français, il a raconté ce qu'on lui avait ordonné de cacher : lui et Marlène vivaient dans une grande maison à Bangui, avec leurs cinq frères et soeurs, ils avaient à manger. C'est son père, dit-il, qui les a confiés à une dame centrafricaine, Myriam Mounon, présentée par Rayon de soleil comme une assistante sociale. «Il a dit : "C'est pour faire des études en France", et après je reviens en Afrique avec de l'argent. Ma mère ne voulait pas, elle pleurait», raconte le petit garçon. Marlène-Love, prostrée, ne s'est souvenue de rien durant des semaines. «Un jour, elle a commencé à sangloter en réclamant sa mère et sa petite soeur Florida», articule avec peine Sylvie D. Rayon de soleil présente Myriam Mounon comme une fonctionnaire du ministère des Affaires sociales. D'après nos informations, elle est connue au ministère comme travaillant pour Rayon de soleil et vivant bien de cette occupation. «Elle dispose d'un 4 x 4, elle voyage régulièrement en France et vit dans le quartier de la clique à Patassé (ex-dictateur renversé en avril dernier)», explique un avocat de Bangui.

Oscar a aussi raconté la réaction des autres enfants adoptés en même temps que lui. Ils recevaient la visite de leur mère. Les plus grands, comme lui, fuguaient pour rejoindre leur famille et se faisaient frapper au fouet par le mari de Myriam Mounon. Sur la vidéo tournée à la «mission» (le centre d'accueil des enfants à Bangui) par une des familles adoptantes, on voit des enfants aux visages fermés qui arrachent les têtes des poupées blondes et se cachent pour jouer autour de bassines d'eau. La plus grande de tous, Raïssa, n'a pas trouvé preneur, et elle serait rentrée chez ses parents biologiques. Oscar-Freddy, désormais en confiance avec ses «parrains» français, répète chaque jour qu'il veut rentrer chez ses parents. Il s'en fiche de son vélo, des vacances en Bretagne, de la vidéo. En Afrique, il pêchait avec son père. En février, les D. ont envoyé au tribunal de Nantes les documents de l'adoption faite en Centrafrique afin d'en obtenir la transcription. La réponse du procureur leur est parvenue le 7 mai. Il estime que le consentement des parents n'a pas été recueilli, que les actes de naissance des enfants ne sont pas authentiques, que les noms ont été raturés ou changés. «Pour ces diverses raisons, je considère que le jugement d'adoption centrafricain rendu le 10 octobre 2002 est irrégulier et donc sans valeur en France.»

«Vous avez vos enfants, affaire close»

Rayon de soleil de l'enfant étranger, deuxième OAA (organisme autorisé pour l'adoption), est une association décrite par le milieu de l'adoption comme étant «au-dessus de tout soupçon». Au professionnalisme hyperrigoureux de Médecins du monde, Rayon de soleil oppose un certain sens des arrangements. «L'entretien avec la psychologue, une brave femme, a duré un quart d'heure. On a eu nos deux enfants six mois après, ce n'était pas ceux qu'on nous avait promis sur photos, apparemment, ça n'a dérangé personne. On les a pris, on n'a pas demandé notre reste», témoigne un adoptant. Une ancienne dirigeante assure avoir pris ses distances sur un différend de fond : «Les enfants étaient de plus en plus âgés, 8-10 ans, et la greffe ne prenait pas. On voulait faire le bonheur des parents, mais quand les gosses arrivaient, c'était la déception : trop foncée, des mauvaises dents, pas assez affectueuse. On a dû renvoyer des enfants dans leur pays après avoir essayé deux ou trois familles.»

Quand la MAI (Mission de l'adoption internationale) les oriente vers la Dass (Direction des affaires sanitaires et sociales), le couple D. commence à enregistrer toutes ses communications téléphoniques et à garder tous les courriers. Le premier qu'ils ont conservé date du 28 décembre ­ soit six jours après l'arrivée des enfants en France. Il s'agit d'une mise en garde adressée à la présidente de Rayon de soleil, Mme Cavallari, par une personnalité unanimement respectée à Bangui qui demande à ne pas être citée «car elle craint pour sa sécurité» : «Au-delà du fait que les enfants ne sont pas pris en charge comme il se doit, cela dénote un manque total de conscience de la part des responsables centrafricains, ce qui pourrait directement se retourner contre votre association pour trafic d'enfants.» Le deuxième courrier, de janvier 2003, est adressé par Rayon de soleil aux familles qui se sont émues des conditions de vie effarantes des enfants à la «mission», alors qu'elles versaient depuis des mois des dons substantiels pour leur entretien : «L'état dans lequel vous avez trouvé les enfants montre bien combien vous ignorez l'Afrique profonde (...). Myriam vous a, m'a-t-on dit, "rackettés" lors de votre séjour ? En quoi ? Si c'est pour l'aide apportée à son voyage en France, dites-le moi, je vous rembourse immédiatement la somme versée. Sinon, je vous demande de ne plus m'en parler. Vous avez vos enfants, c'est une affaire close !» La missive est signée de Yolaine Naël, une bénévole, «responsable de l'aide en Afrique», qui, dans des courriers plus affectueux adressés aux élus français, se présente comme ex-institutrice, «grand-mère de neuf enfants dont trois adoptés au Mali, ce qui a suscité mon engagement auprès des enfants africains».

Mensonges et «rectifications»

Le troisième courrier est signé de la présidente de Rayon de soleil. En réponse à des demandes précises sur les carnets de santé, les actes de naissance, l'historique de vie des enfants, elle leur écrit : «Ce qui nous inquiète à la lecture de votre courrier, c'est de ne lire aucun mot un peu chaleureux sur vos enfants, et nous nous faisons beaucoup de soucis pour leur épanouissement et leur avenir, surtout que je ne suis pas sans savoir qu'il y a des moments de tension dans votre couple. En vous souhaitant bien sincèrement que les jours qui passent vous apporteront la joie d'être une vraie famille avec son cortège de rires, de pleurs, de joies, de peines comme dans toutes les familles.» La présidente de la deuxième OAA française a expliqué à Libération : «L'enfant en Afrique n'appartient pas à un père et à une mère mais à tout un clan, et c'est un conseil de famille qui se réunit pour parler de l'avenir de l'enfant et le donner en adoption.» Affirmations qui font bondir les Centrafricains de Bangui : «C'est totalement faux, ça se passait autrefois comme ça dans les villages, mais aujourd'hui les enfants sont élevés par leurs parents, qui ont toute l'autorité parentale sur eux», témoigne une institutrice.

La présidente de Rayon de soleil, Liliane Cavallari, et sa «Mme Afrique», Yolande Naël, ont séjourné avec les enfants à la «mission» de Bangui en septembre 2002. Elles ne peuvent ignorer la falsification grossière des carnets de santé des enfants sur lesquels les dates ont été rectifiées. Ainsi Oscar, soi-disant né en 1997, a été vu par un médecin le 19 novembre 1992 !

Après s'être fait remonter les bretelles par le Quai d'Orsay, Mme Cavallari est retournée en Centrafrique à la fin du mois de juin. «J'ai obtenu la preuve qu'il n'y avait pas de faux, seulement des erreurs que j'ai fait rectifier. Comme c'est le droit coutumier et patriarcal, les parents n'avaient pas signé les actes, les femmes encore moins», nous a-t-elle expliqué. Parfaitement inexact : à Bangui, les services municipaux fonctionnent correctement et tiennent un état civil. Elle affirme aussi avoir une attestation du «chef de quartier» disant qu'Oscar a bien 5 ans et Marlène 2 ans (1). Si le carnet de santé est trafiqué, «c'est le père qui s'est trompé entre l'âge des différents enfants». La mère soi-disant morte du sida et le père parti en brousse ? «La plupart des parents sont contaminés et finissent par mourir de ça. D'ailleurs, j'ai vu la mère, elle n'avait pas l'air en bonne santé.» En somme, «les sentiments des parents là-bas ne sont pas les mêmes. S'ils ne s'en sortent pas, ils n'ont pas d'états d'âme à donner leurs enfants, ils sont à la limite heureux que ces enfants soient partis.» Les gamins qui réclament aujourd'hui leur mère ? «Ils étaient sans doute attachés à leurs parents, mais, en Afrique, ils le sont aussi aux autres voisins, on ne peut pas raisonner à l'occidentale.» Le seul problème pour elle, ce sont les D., qui ne veulent pas de ces enfants. «J'ai vu les parents à Bangui, il est hors de question qu'ils récupèrent les gosses, ils n'ont aucun regret. Les enfants ne peuvent pas rentrer, ils seraient rejetés par tous.»

«Cruauté infernale»

Stéphane et Sylvie D. ne comprennent pas. «Il y a des milliers d'orphelins du sida en Centrafrique, des vrais orphelins démunis de tout. Pourquoi Rayon de soleil ne les prend-il pas en charge, pourquoi sont-ils allés chercher des enfants ayant une famille, mangeant à leur faim et heureux de leur existence ?», demande Stéphane. Ils se retrouvent complices, à leur insu, d'un «trafic colonialiste et raciste. Peu importent les mensonges sur l'histoire des enfants, peu importent leurs souffrances d'être arrachés à leur famille, leur culture, leur terre, seul compte le désir fou des adoptants de fonder une famille», poursuit sa femme. Ils sont prêts à ramener les enfants à Bangui si leurs parents souhaitent les récupérer. «C'est une torture permanente de les voir et de les entendre réclamer leur mère. Quel projet pouvons-nous envisager avec eux ?» Mais si les parents n'en veulent plus, comment vivront-ils ce rejet réfléchi, pourquoi eux deux et pas leurs frères et soeurs ? «C'est d'une cruauté infernale», accuse Sylvie D.

(1) Jusque dans les années 70, le chef de quartier était chargé de récupérer l'impôt «par capitation». Aujourd'hui, ce personnage n'exerce qu'un rôle symbolique et en aucun cas juridique ni même coutumier.

2005 Aug 5