exposing the dark side of adoption
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La nouvelle "tragédie" des enfants roumains

public

Mirel Bran,

La nouvelle "tragédie" des enfants roumains :

Le Monde 24.05.04

Enfermés dans les orphelinats de la Roumanie profonde, quelque 50 000 enfants abandonnés ignorent les disputes que se livrent Bruxelles et Washington à leur sujet. Leur sort se trouve actuellement entre le marteau américain et l'enclume européenne. Après avoir, en juin 2001, institué un moratoire interdisant les adoptions internationales, les autorités roumaines s'apprêtent à voter une loi devenue la pomme de discorde entre les Etats-Unis et l'Union européenne.

Le projet législatif a été approuvé par le Sénat de Bucarest et devrait bientôt être voté par la Chambre des députés. L'article 39 de cette nouvelle loi stipule que "l'adoption internationale d'un enfant domicilié en Roumanie peut être accordée seulement aux grands-parents de l'enfant". En d'autres termes, le robinet des adoptions internationales est pratiquement fermé.

Cette mesure radicale, due en grande partie aux pressions du Parlement européen, a provoqué une vive indignation outre-Atlantique. Dans un appel public paru dans International Herald Tribune à la fin avril, l'adjoint du secrétaire d'Etat américain, le général Richard Armitage, enjoint aux Roumains : "Laissez vos enfants partir." Lui-même père adoptif, il considère que l'arrêt des adoptions internationales est une véritable "tragédie" pour les orphelins roumains. Quelques jours plus tard, un groupe de 22 membres du Congrès américain a envoyé une lettre au Parlement européen pour qu'il fasse pression sur la Roumanie en vue d'un déblocage des adoptions internationales. De son côté, l'ambassadeur américain à Bucarest, Michael Guest, s'efforce de convaincre les autorités et les médias roumains.

La dispute ne date pas d'hier. En janvier 2002, la représentation américaine auprès de la Commission européenne envoyait une note interne à la direction pour l'élargissement demandant aux responsables européens de faire pression sur Bucarest pour débloquer les adoptions internationales. L'argument américain ? "Le moratoire contre les adoptions pourrait créer des problèmes au Congrès américain à l'occasion des débats sur l'adhésion de la Roumanie à l'OTAN." Dans une note interne, la Commission européenne a opposé une réponse cinglante aux démarches américaines liant l'adhésion de la Roumanie à l'OTAN au déblocage des adoptions.

A l'autre extrême, la députée britannique Emma Nicholson de Winterbourne, rapporteur de la Roumanie au Parlement européen, ne veut pas entendre parler d'adoption internationale. Selon elle, des enfants roumains adoptés à l'étranger ont été utilisés pour le trafic d'organes et la prostitution. Des suppositions graves qui exigeraient des preuves irréfutables. "Mais tout le monde en parle !, s'exclame-t-elle. Il est naturel que les riches tentent d'adopter les enfants des pays pauvres. De toute façon, l'adoption internationale est un traumatisme pour l'enfant."

C'est en raison des pressions exercées par Mme Nicholson que le gouvernement de Bucarest a instauré le moratoire contre les adoptions internationales en 2001. Pourtant cette apôtre des droits de l'enfant est contestée par la presse de son propre pays. Début mars, The Telegraph dressait d'elle un portrait peu reluisant où l'on apprend que celle-ci a vécu un échec en matière d'adoption. Après avoir tenté d'adopter un enfant irakien grièvement blessé lors de la première guerre du Golfe, Amar Kanim, elle a été rejetée par celui-ci. Agé aujourd'hui de 23 ans, sans emploi et sans domicile fixe en Grande-Bretagne, il accuse Emma Nicholson de l'avoir abandonné.

François de Combret, président de l'association française Solidarité enfants roumains abandonnés, estime que Mme Nicholson "mène une véritable croisade pour se venger sur les enfants de Roumanie d'un échec personnel en matière d'adoption". Selon lui, le moratoire a des effets catastrophiques. "Le nombre des abandons d'enfants ne diminue pas, affirme-t-il. Il y en a environ 10 000 par an, alors que le nombre d'adoptions nationales est limité à environ 1 000 par an." Toutefois, en dépit de l'engagement des autorités roumaines de bloquer ces adoptions, le gouvernement a approuvé quelque 800 adoptions d'enfants par des familles espagnoles, italiennes, françaises, américaines et israéliennes.

L'exécutif de Bucarest a cédé aux pressions exercées par certains premiers ministres européens sensibles aux arguments du lobby de l'adoption internationale.

Silvio Berlusconi, Lionel Jospin ainsi que des parlementaires espagnols sont intervenus auprès du premier ministre roumain pour qu'il approuve à titre exceptionnel un certain nombre d'adoptions internationales. "D'une part, le Parlement européen et la Commission européenne ont demandé à la Roumanie d'observer un moratoire interdisant les adoptions internationales, affirme Richard Trigano, un expert français délégué par la Commission européenne à Bucarest. D'autre part, des Etats membres de l'UE exercent des pressions égoïstes et hypocrites sur la Roumanie pour les autoriser. On prétend chez nous que l'enfant n'est pas une marchandise, mais on demande à l'Etat roumain de le traiter comme une marchandise."

Entre Charybde et Scylla, la Roumanie s'efforce de trouver un équilibre. En attendant que soit trouvée une solution, les enfants roumains abandonnés rêvent de jours meilleurs. On leur demande la seule chose qu'ils possèdent : du temps.

2004 May 24