exposing the dark side of adoption
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LE MALHEUR FAIT AUX ENFANTS ROUMAINS

public

Article extrait du dossier n°178 (2001/2) « Enfants placés »




L’auteur : banquier, François de Combret, a fondé l'association Solidarité Enfants Roumains Abandonnés (SERA) voilà dix ans.



Face au scandale de l'abandon des enfants en Roumanie, l'auteur a choisi d'agir au niveau politique.


François de Combret : A la chute de Ceausescu, l'hiver 1989, j'ai vu comme tout le monde des images télévisées qui montraient des petits roumains abandonnés dans des mouroirs. Au printemps suivant, je suis parti en Roumanie avec Médecins du Monde, pour me rendre compte sur place, et j'ai fondé Solidarité Enfants Roumains Abandonnés en novembre de la même année.


Jacqueline Chabaud : Il y a des enfants dans la détresse partout. Alors, pourquoi justement la Roumanie ? Aviez-vous un intérêt particulier pour ce pays ?

F.de C. : Non. Mais ce pays est le seul au monde à avoir officiellement encouragé l'abandon d'enfants : Ceausescu l'a institué en 1970 par une ordonnance qui ne sera au reste pas abrogée en 1990 par le nouveau chef de l'Etat ! Le malheur fait aux enfants ne dépendait pas ici de fatalités diverses mais de la volonté d'un homme. Un homme pouvait donc s'y opposer. En fondant cette association, je croyais que mes efforts seraient payants à court terme !


J.C. : Comment avez-vous réussi à convaincre peu à peu les Roumains de changer les choses ?

F.de C. : J'agis en homme politique. Je m'adresse au plus haut niveau pour obtenir des changements juridiques, structurels... en échange desquels je soutiens tel ou tel projet économique de Bucarest.

Après sept années de ce travail, le représentant roumain de SERA, le docteur Cristian Tabacaru, a été nommé secrétaire d'Etat à la Protection de l'enfant. C'était en février 1997. En juin, il faisait abroger l'ordonnance infâme de Ceausescu. Il a jeté les bases d'un système nouveau, fondé sur le droit de chaque enfant à une famille. Il a réussi à décentraliser près de la moitié des 600 orphelinats du pays en en confiant la tutelle à la direction de la protection de l'enfant qu'il a créée dans chaque département..


J.C. : En fait, le sort pourtant tragique des enfants a commencé à changer sept ans après la fin du dictateur...

F.de C. : Oui, à l'occasion de l'élection d'un nouveau président et donc d'un nouveau gouvernement. Mais malgré les progrès réalisés, la situation demeure inacceptable, particulièrement sur deux points...

Plusieurs dizaines d'orphelinats non décentralisés en 1997 sont restés des mouroirs : ce sont des dépotoirs perdus dans la campagne, dépourvus de personnel qualifié. Les enfants y sont plus âgés, plus abîmés et souvent handicapés. Lors de mon dernier voyage en Roumanie, en décembre dernier, j'ai visité par exemple, un établissement qui a vu le nombre de ses pensionnaires augmenter en deux ans de 216 à 249, malgré le surpeuplement passé. 73 d'entre eux, au rez-de-chaussée, ont plus de 18 ans. Les 166 autres, souvent infirmes ou grabataires, sont entassés sur deux étages sans salles de jeux ni de classe, sans réfectoire, avec des sanitaires sans eau. Plusieurs ne savent pas parler. Dans une autre maison tout aussi dépourvue de moyens humains et matériels, je me souviens d'une femme en larmes - un médecin - qui confiait : “ J'ai honte. Comment un médecin ne pleurerait-il pas en voyant l'état de ces enfants ? ”


J.C. : Vous parliez de jeunes adultes qui sont encore dans ces orphelinats ?

F.de C. : C'est le deuxième point noir, qui pèsera longtemps sur le pays. En principe, à 18 ans, les jeunes doivent quitter l'orphelinat. Pour aller où ? Pour faire quoi ? Certains directeurs d'établissements tolèrent la présence des aînés pour leur éviter l'errance, la délinquance ou l'hospice de vieillards. Mais quel avenir auront ces grands ? Et quelles conséquences nuisibles leur présence entraîne-t-elle sur les plus jeunes, surpeuplement, maltraitance, sévices ?


J.C. : En Europe occidentale aussi, l'avenir pose question pour les jeunes qui ont grandi en foyers...

F.de C. : Certes ! Mais en Roumanie, du fait de la pyramide des âges dans les orphelinats, l'intégration socio-professionnelle de dizaine de milliers de jeunes est une question majeure et le restera longtemps.

Pour prendre en compte les besoins des enfants handicapés et celui des plus de 18 ans, le gouvernement au pouvoir depuis décembre 2000 devrait s'inspirer de la réforme de 1997 grâce à laquelle des progrès ont été tout même réalisés.


J C. : Pouvez-vous en citer quelques-uns ?

F.de C. : Le nombre d'enfants dans les orphelinats décentralisés est en nette diminution, grâce aux aides apportées aux familles démunies. Il y a parfois un nouvel état d'esprit. Par exemple, j'ai vu dans un orphelinat un responsable qui a ouvert un centre pour aider les parents d'enfant handicapés nombreux aux alentours et victimes d'ostracisme : les parents commencent à y venir. Le placement familial devient une alternative à l'orphelinat. Et en cas d'abandon total, il y a des adoptions nationales et plus seulement internationales.

De toute façon, la Roumanie est quasiment obligée d'avancer car la question de l'avenir des quelque 100 000 enfants abandonnés a une portée politique de grande importance : l'enjeu n'est autre que l'adhésion à l'Union européenne. Bien sûr, ce pays a vraiment besoin d'être aidé pour y parvenir. L'association que j'ai fondée s'y emploie sur le terrain aussi en finançant les projets des directeurs d'établissements.


2001 Feb