Des filières d'adoption toujours plus complexes
Des filières d'adoption toujours plus complexes
08/11/2007 | Mise à jour : 13:45 |
L'affaire de l'Arche de Zoé ne pouvait pas plus mal tomber pour les 25 000 à 30 000 foyers français qui désirent adopter, et dont la majorité se tourne vers l'étranger.
Même si les responsables de l'opération tchadienne et les familles qui les soutiennent ne parlent plus que d'«accueil», le mal est fait. Les pays qui acceptent de confier leurs enfants orphelins ou abandonnés pourraient prendre ce prétexte pour favoriser d'autres Etats demandeurs au détriment de la France, deuxième pays en nombre d'adoptions internationales après les Etats-Unis.
«Cette opération allait à l'encontre des règles élémentaires de la convention de La Haye de 1993, signée par 74 pays et régissant l'adoption des enfants à travers le monde», rappelle Colette Clément-Barthez, conseillère juridique auprès de la Défenseure des enfants, Dominique Versini. Pour elle, L'Arche de Zoé est inexcusable : «La compassion, même dans des situations de conflit, ne permet pas de s'affranchir des accords internationaux.»
Le bureau de la Défenseure des enfants n'est pas le seul à s'indigner. L'Elysée, les ministères concernés et la majorité des associations d'adoptants abondent dans ce sens. Et même bruyamment. «Il s'agit de faire entendre notre réprobation dans le monde entier pour ne pas être soupçonnés d'autoriser n'importe quoi afin de satisfaire le désir d'enfants de certains de nos concitoyens », commentait, en début de semaine, un membre du Quai d'Orsay. La situation est d'autant plus inquiétante que les organismes français autorisés pour l'adoption (OAA) jonglent déjà avec des situations complexes.
En moyenne, 8 000 foyers français obtiennent chaque année un agrément d'adoption : 800 orphelins ou enfants abandonnés en France rejoignent ainsi des familles ; pour les autres, une seule solution, se tourner vers l'adoption internationale, qui nécessite un agrément français et celui du pays dont l'enfant est originaire. En 2006, 3 977 petits étrangers ont ainsi été recueillis dans des foyers français. Depuis plusieurs années, le chiffre baisse : 150 adoptions de moins en 2006 qu'en 2005, où il en y avait déjà eu 102 de moins qu'en 2004. Pour 2007, la tendance sera la même, alors que le nombre d'adoptants augmente et qu'une loi, votée il y a deux ans, est censée faciliter les démarches.
La situation a été jugée assez préoccupante pour que l'Elysée nomme début octobre un chargé de mission en la personne de Jean-Marie Colombani. L'ancien président du directoire du journal Le Monde devrait s'attacher à améliorer le rôle du Quai d'Orsay dans ces procédures complexes, où les intérêts nationaux se mélangent à des incompréhensions culturelles et à des enjeux financiers. Corruption, trafics, vols d'enfants et autres méthodes plus ou moins douteuses viennent envenimer le tout.
La création d'une Agence française pour l'adoption (AFA), émanation de la loi de 2005, a suscité beaucoup d'espoirs chez les adoptants. Sans pour autant les satisfaire. Certains ont même manifesté contre ses initiatives. On lui reproche de bloquer des démarches individuelles sans pour autant faciliter celles qu'elle centralise. «Quand l'AFA passe un accord avec un Etat, elle devient incontournable. Malheureusement, c'est un guichet de plus, imposant des contraintes parfois aberrantes, de nouvelles lenteurs...», s'insurge Corinne, en quête d'une adoption depuis cinq ans et membre d'un collectif de parents.
L'Agence française a suscité une grave polémique en mars dernier. Après avoir signé un accord avec le Vietnam pour l'adoption de 200 orphelins, elle a reçu dix fois plus de demandes d'adoptants. Elle a alors choisi de tirer au sort les 200 dossiers envoyés aux autorités vietnamiennes. Etrange loterie dans un monde kafkaïen où l'hypocrisie et l'arbitraire ont largement leur place.
Car, même si les termes ne plaisent guère, c'est à l'aune d'un déséquilibre entre une demande forte et une offre faible qu'il faut mesurer la tension existant aujourd'hui sur les filières d'adoption.
Invoquant les risques de trafics, la plupart des pays qui adhèrent à la convention de La Haye renforcent leurs exigences d'agrément. Parfois, les critères sont carrément discriminants. Pas question d'adopter en Chine si vous êtes obèse ou marié depuis trop peu de temps. Dans de nombreux pays, les dossiers des foyers dont les membres ont plus de 40 ans n'ont quasiment aucune chance d'être acceptés. Trop vieux pour élever des enfants ? ! «Et à moins de 30 ans, vous n'êtes souvent pas assez riches», grince Sylvie, 28 ans, qui a présenté son dossier à une trentaine d'associations avant qu'il soit accepté.
Sur le plan financier, l'hypocrisie règne. Les opérations médiatiques des stars américaines (Madonna, Angelina Jolie...) ou même française (Johnny Hallyday) qui récupèrent leur bébé grâce à des millions de dollars de dons accentuent les polémiques. Pourtant, la question des revenus est systématiquement abordée pour obtenir l'agrément français. Et adopter à l'étranger coûte cher. Céline reconnaît que l'ensemble des démarches pour une adoption en Russie, dans la plus grande légalité, lui est revenu à 20 000 euros. Aux Etats-Unis, les prix s'envolent. Des prestataires privés peuvent demander des centaines de milliers de dollars pour dénicher le bambin de vos rêves. Là-bas, tout un business vit de l'adoption. Non sans certaines dérives.
Mais la posture française, toujours moraliste face à l'argent qui circule forcément dans une procédure d'adoption, peut aussi avoir des conséquences néfastes. Au Vietnam ou au Cambodge, Américains, Espagnols ou Italiens ont su s'imposer en finançant des plans d'aide humanitaire sur place. «Ce sont des actions qui comptent pour des autorités toujours réticentes à laisser partir des enfants de leur pays», explique Sophie, en route pour la Russie, où elle doit récupérer son deuxième petit garçon adopté. Conséquences : ces pays acceptent de moins en moins de dossiers français et travaillent de plus en plus avec leurs nouveaux «bienfaiteurs».
Pour Jean-Marie Cavada, cette complexité ne doit pas devenir un prétexte à l'inaction. «Il faut donner un confort affectif à l'enfant afin qu'il puisse se structurer, le reste n'est que diplomatie ou orgueil national», martèle-t-il. Enfant de la Ddass, il défend avec un autre député européen, Claire Gibault, mère adoptive de deux enfants togolais, l'idée d'un front européen de l'adoption. L'un et l'autre se sont insurgés contre la Roumanie, qui a fermé ses frontières à 1 000 familles sur le point d'adopter des enfants qu'elles avaient déjà rencontrés. Tout cela sous prétexte de renforcer sa législation. Quatre-vingts familles françaises se retrouvent dans la même situation face à l'Etat népalais, qui a pris une décision similaire.
Le constat est sans appel : les principales routes de l'adoption mondiale restent des chemins tortueux débouchant souvent sur des impasses. Selon l'Ined (Institut national d'études démographiques), un foyer d'adoptants français sur deux n'arrive jamais à ses fins. Désespérés de devenir parents, certains finissent par fermer les yeux sur des pratiques jugées «limites».
Aujourd'hui, l'essentiel des adoptions effectuées à l'étranger se font dans des pays n'ayant pas signé la convention de La Haye. En Haïti, l'un des plus grands berceaux d'orphelins aux monde, un trafic d'enfants enlevés à leurs parents a récemment impliqué une crèche, Sourire d'Amour. L'affaire a fait scandale. Et elle révèle à quel point cette demande occidentale est difficile à satisfaire dans des régions où la corruption dicte sa loi.
L'entreprise hasardeuse de L'Arche de Zoé, soutenue par des familles désirant adopter un enfant, vient ajouter un peu plus de confusion à l'ensemble. Elle donne des arguments à «ce courant politiquement correct qui incite à stopper l'adoption internationale pour résoudre les dérives illégales qu'elle engendre, s'insurge Claire Gibault. Y céder serait faire fi de la misère affective de millions d'enfants qui n'attendent qu'une chose : avoir enfin une famille qui les aime», conclut-elle.