exposing the dark side of adoption
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Vendue, trahie, aimée, choyée…

public

Article rédigé par Céline Giraud en 2005



Vendue, trahie, aimée, choyée…
Comment ces 4 mots si contradictoires peuvent ils se côtoyer les uns les autres dans la même phrase ? Et pourtant c'est bien cela mon histoire, un terrible mélange de malheur et de bonheur, de pleurs et de rire, de tristesse et de joie, de peines et d'amour.
Mon histoire commence il y a 24 ans, au Pérou, à Lima.
Ma mère, qui a déjà une petite fille de 3 ans, Gaby, est enceinte… de moi : pas de travail, ni de ressource, une famille en pleine crise…Son quotidien n'est fait que de cris, de pleurs et de reproches. Par-dessus cela mon père est parti de la maison.
Et puis, une main qui se tend, une aide qui tombe du ciel. Ma mère entend un jour à la radio, une publicité parlant d'une association caritative, San benito de palermo, aidant les mères célibataires en difficulté à repartir d'un bon pied dans la société (soin pendant la grossesse, prise en charge des frais d'accouchement, denrées alimentaires pour la mère, au bébé, soins médicaux gratuits, vêtements…). C'est trop beau pour être vrai ! Chance ? Hasard ? Non. C'est son pire cauchemar qu'elle vient d'entendre, mais fatalement, elle ne le sait pas encore.
Plus que dans le besoin, quelques jours plus tard, elle pousse les portes de cette association dont les bureaux se trouvent en plein centre de Lima. Elle a besoin d'aide, elle est sûre qu'ici elle pourra le trouver. On la reçoit bien, on la chouchoute, on lui dit qu'à partir de maintenant tout sera pris en charge et qu'elle peut vivre sa grossesse sereinement.
Je pousse mon premier cri le 14 juillet 1980 (signe du destin ?).
De l'autre côté de la terre, un jeune couple de français qui ne peut pas avoir d'enfant, est prévenu de ma naissance par une OAA , par laquelle ils ont décidé de passer pour adopter un enfant. Dès le 15 juillet, les voilà en train de préparer leur voyage : une petite fille nouveau-née les attend leur a-t-on dit !
Mes parents foulent pour la première fois le sol péruvien le 29 juillet 1980, tard dans la nuit. Le 30 juillet, à 7 heures du matin, deux femmes débarquent, prétextant être de l'association San benito de Palermo, la directrice et l'assistante sociale leur disent-elles. Dans leurs bras, un nouveau-né de 16 jours, toute petite, toute fragile, moi.
Selon leurs dires, ma mère biologique a 16 ans et se trouvant trop jeune pour avoir un enfant m'a confiée à l'adoption. Mes parents adoptifs, encore jeunes et bien naïfs se contenteront de cette version. Et puis d'ailleurs, pourquoi remettre cette histoire en cause? Pourquoi douter? Ils sont les plus heureux du monde et décide de m'appeler Céline.
Je grandis dans un foyer plus que chaleureux, avec des parents aimants qui m'apprendront très tôt à respecter les autres et soi même, à partager, à donner à ceux qui en ont besoin, à être vraie et entière. 3 ans plus tard, un petit frère coréen vient combler notre bonheur familial.
Souvent, ils me montrent des photos du Pérou, me font écouter de la musique de là bas…Mais moi je ne manifeste aucun intérêt. Il n'y a rien en moi. Je suis française. Au lycée, je choisis l'espagnol comme deuxième langue : c'est ma langue d'origine me disent-ils, je devrai l'apprendre facilement ! Et bien je vais faire tout le contraire. Je vais haïr cette langue et bâcler mes cours, je ne fais pas d'effort mais j'obtiens quand même un timide 10 au bac…. Inutile de dire que passé la porte de l'examen j'avais tout oublié de ces années d'enseignement de l'espagnol !
Ne jamais forcer, mais surtout laisser les choses venir d'elles même, naturellement. La nature….qu'y a-t-il de plus beau ?
J'ai 20 ans, et la vie devant moi. Alors que mes amis ne pensent qu'à s'amuser et profiter de leur jeunesse, moi, je choisis de prendre un chemin différent : celui de la maternité.
Volontairement, j'avais envie de connaître ce merveilleux sentiment : être mère.
J'aime un homme depuis 4 ans. Nous habitons ensemble, il fait parti de ma famille, je fais parti de la sienne, nous sommes fiancés, et malgré mon statut d'étudiante nous décidons que c'est le moment.
Les mois passent, mon ventre s'arrondi. Pourtant, je continue l'université, les cours. Ma vie est celle d'une étudiante normale, à la seule différence que je vais bientôt donner naissance à ma petite fille, qui sera elle-même, le début de ma nouvelle vie, comme une seconde naissance pour moi. Deux naissances l'une dans l'autre….
24 octobre 2000. 15h00. Elle est née et ma mère adoptive, dont je suis très proche, m'a accompagnée durant ces longues heures d'effort. J'avais l'impression que je lui offrais mon accouchement, à elle, qui n'a jamais pu avoir d'enfant. C'était beau. Je l'appelle Lisa.
Et puis quelque chose se passe dans ma tête, un clash ? Un choc ? Je ne sais pas vraiment. Un changement oui c'est certain mais j'ai l'impression que c'est plus profond que ça. Je regarde mon petit bout d'chou grandir, sourire, vivre…Je lui ai donné naissance c'est vrai…Mais c'est aussi vrai qu'un jour un femme m'a donné naissance. Et cette femme, où est elle maintenant ? Est-ce que je lui ressemble ? Ai-je ses yeux ? Sa bouche ? Comment a-t-elle vécu sa grossesse ? Se caressait elle le ventre comme je le faisais pour Lisa ? Me parlait-elle ?
Une multitude de questions naissent en moi ; des questions qui devenaient une obsession.
Le Pérou. Ce pays que j'ai si longtemps regardé comme on regarde un train passé, bêtement et sans intérêt, j'avais tout d'un coup envie de le connaître, connaître ses gens, sa culture, sa langue. J'avais envie de devenir péruvienne dans mon cœur.
Alors c'est par hasard que je rencontre un jour des musiciens sud américains dans le métro à Paris. Nous faisons connaissance, mais le problème est là : physiquement, je leur ressemble, mais sinon, nous n'avons rien en commun, même pas la langue. Une vérité et une réalité que je vais mettre du temps à accepter.
Mon envie d'être péruvienne me fait quitter petit à petit le monde français où j'ai grandi,  dans le sens où je me sens différente et où je décide de cultiver cette différence. Une barrière s'installe entre les français et moi. Mais de l'autre côté, une autre  barrière est déjà posée entre les péruviens et moi : je ne suis pas comme eux.
Va s'ensuivre des mois difficiles à vivre pendant lesquels je vais avoir du mal à gérer, à faire cohabiter mon envie de retourner aux sources et mon évidente culture française. Je ne suis plus sûre de moi, ni sûre de ce que je veux, de ce que je fais… je quitte le père de ma fille. Il ne me reconnaît plus, d'ailleurs, il a raison, moi-même je ne sais plus qui je suis.
Presque deux ans vont s'écouler ainsi. Ni française ni péruvienne, ni l'une ni l'autre, rien du tout en somme.  Je suis une sorte d'hybride qui a du mal à trouvé sa place.
Le destin va pourtant jouer en ma faveur.
Je rencontre un jeune péruvien, à Paris. Un coup de cœur, un feeling, nous entamons une relation même si je ne parle pas plus espagnol que lui ne parle français ! Nous allons tout nous apprendre : lui tout du Pérou et moi tout de la France. Chacun est fier d'enseigner sa culture à l'autre: nous nous enrichissons mutuellement au fil du temps.
A lui, je lui raconte mon histoire, mon adoption, mes doutes, mes angoisses, ma torture mentale : celle que je m'inflige à moi même. Il me comprend et me propose l'aide de son père qui est à Lima, pour retrouver la trace de ma mère. J'y réfléchi, j'hésite et puis un jour, j'accepte.

Les mois ont passé, « l'enseignement » qu'il m'a donné a porté ses fruits : je parle espagnol couramment, je cuisine péruvien, je danse la salsa, je connaît la mentalité péruvienne….Cette culture boue en moi. Je me sens davantage péruvienne dans la peau, je sais qu'aujourd'hui je  suis prête pour rencontrer ma famille du Pérou.
Je donne par téléphone tous les éléments dont je dispose à son père (nom, date lieux…), cela va prendre quelques semaines mais au final, il la retrouve !
La vérité n'est pas du tout celle qu'on m'avait racontée. La jeune mère de 16 ans n'a jamais existé, je découvre que ma mère avait 23 ans et était déjà maman d'une petite fille. Et surtout, elle ne m'a jamais abandonnée, on m'a tout simplement volée à elle et vendue à l'étranger.
Le 24 février 2004. Je m'en rappellerai toute ma vie. Je parle à une femme en pleur qui ne cesse de me dire qu'elle ne m'a jamais oubliée s'est toujours souvenu de moi : on n'oublie jamais un enfants qu'on a perdu.

Mon père est là, lui aussi. Ma sœur, mon petit frère….Tous sont en pleur. Le cauchemar de leur sœur fantôme vient de se terminer, je les ais retrouvés. Depuis 24 ans, ils m'attendaient, priaient pour que je revienne. Et pour eux, le miracle s'est produit ce jour là et une nouvelle vie commence pour eux. Pour moi c'est un clash et une tournure dans ma vie.

Retour en 1980.
Suite aux dépôts de plaintes de toutes les mères qui se sont faites avoir, les trafiquants ont été inquiétés, arrêtés, jugés et condamnée à 25 ans de prison fermes. 24 enfants ont été volés. Certaines mères se sont fait voler par cette même famille 2 enfants, et une mère en a perdu 3 !
Le principe était toujours le même : attirer des jeunes femmes de préférence enceintes et dans la misère, leur dire que leur enfants pourront être placés dans une pouponnière, qu'elles ne se préoccuperont de rien, leur faire signer un papier « d'entrée » dans la pouponnière qui était en fait un acte d'abandon et disparaître sans laisser d'adresse avec l'enfant … ou les enfants.

Horrifiée par cette horrible vérité, je vais vivre des moments difficiles. Pourquoi moi ? Pourquoi elle ? Et mes parents adoptifs ? Je les aime tellement. Pour eux aussi ce fût terrible : comment peut on continuer a vivre sereinement quand on se dit qu'on a construit son bonheur de mère sur le malheur d'une autre ?
J'appelle ma mère adoptive, choquée. Je vais la choquer elle aussi.  L'appel sera court. Nous avons besoin de réfléchir sur ce qui vient de nous arriver.
Le lendemain quand je la rappelle elle m'explique qu'elle n'était au courant de rien, que les trafiquant lui avait raconté cette histoire de mère qui avait 16 ans et demandé 3000 dollars, normalement destiné à l'institution San benito de Palermo pour les soins de l'enfant avant l'adoption et aussi qui comprenait un petit pécule pour aider la mère (argent qu'aucune mère n'a jamais vu bien sûr). Non ces 3000 dollars  c'était simplement mon prix, le prix auquel nous, enfants volés,  étions estimés.
1 mois et demi après, me voilà en route pour le Pérou, seule. Je vais rencontrer ma famille. 8 jours qui passeront comme un éclair mais pendant lesquels je vais enfin pouvoir voir le visage de celle qui m'a mise au monde.
La rencontre.
Un moment tant attendu et pourtant la peur me saisit.
Ma première grande émotion fut de voir le Pérou pour la première fois de ma lucarne, dans l'avion. Ca y est, j'allais enfin pouvoir toucher la terre qui m'a vu naître, respirer l'air de mon pays. Ca me poigne le ventre….
Et puis j'arrive enfin dans l'aéroport, prête à connaître les miens. Vont-ils me reconnaître ? Vais-je les reconnaître ?...Un homme s'avance vers moi. Il est petit, foncé de peau, le sourire aux lèvres, il a une chemise verte défraîchie et me tend les bras. C'est mon père.

Peu après, deux petites bonnes femmes le rejoignent et me serrent dans leurs bras de toutes leurs forces…Elles pleurent. Ce sont mes sœurs. Je crois qu'à ce moment j'ai du être un peu froide. Emue oui c'est sûr, mais c'est tellement énorme ce qui me tombait dessus en quelques secondes. Toutes ces personnes qui sont de mon propre sang et pourtant, comment dire, des inconnus en quelques sorte. C'est dur de dire cela mais c'est exactement ce que j'ai ressenti à ce moment : me jeter dans les bras de pleins d'étrangers et faire comme si on s'était pas vu depuis des années.
En sortant dehors ma mère arrive en courant et crie mon nom : « doris ! » C'est ainsi qu'elle m'avait baptisée à ma naissance et c'est ainsi que je m'appelle pour elle, pour eux. Doris, telle était ma nouvelle identité. Elle pleure. Je me dis que cette femme, qui est ma mère a dû beaucoup souffrir. Je la prends dans mes bras et du mieux que je peux essaie de la consoler en lui disant que maintenant, sa fille est là, à ses côtés et que plus jamais rien ne nous séparera.


A lire, le témoignage de Céline Giraud dans le live "J'ai été volée à mes parents" sorti aux éditions Flammarion le 16 février 2007 (disponible en poche)

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