L'ODYSSEE HUMANITAIRE
Banquier reconnu de la place de Paris, François de Combret mène une vie parallèle en arrachant les enfants roumains à la misère des orphelinats.
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Aujourd'hui, quand je compare les résultats à mes ambitions, je ressens un grand sentiment d'insatisfaction. J'ai l'impression que ce que je fais est nul, que je n'arrive à rien", se décourage François de Combret à propos de son action pour les orphelins roumains. Repassons le film depuis 1989. La chute de Ceausescu fait découvrir à l'Europe l'horreur des orphelinats roumains. Scandalisé, François de Combret laisse un temps son fauteuil de banquier pour plonger dans l'univers carcéral de ces enfants maltraités. Il suit sur le terrain le travail d'une grande ONG, mais la lourdeur administrative, les gâchis en tout genre, les problèmes personnels des expatriés laissent sceptique cet énarque épris d'efficacité. Il décide d'être seul maître à bord et créé en 1990, sa propre association, Sera (Solidarité enfants roumains abandonnés). A cette époque, 120 000 enfants dépérissent dans les 600 orphelinats d'Etat. Homme de chiffres, François de Combret calcule le coût de l'opération : -"
J'étais très naïf, je pensais que c'était un problème facile à résoudre, classique pour un énarque lambda, qu'il suffisait de trouver de l'argent pour sortir ces enfants des orphelinats. Mais l'abandon d'enfant était un mal profond car ancré dans les mentalités". Une loi de 1970 obligeait les femmes à avoir cinq enfants pour doubler la population de la Roumanie. Les familles trop pauvres abandonnaient leurs enfants. Vingt ans plus tard, l'abandon est devenu une énorme machine qui marche à plein régime. Chaque année, dix mille enfants prennent le chemin des pouponnières où un cycle infernal les attend. A trois ans, abîmés physiquement et psychologiquement par les mauvais traitements, la plupart sont sélectionnés pour terminer leur vie dans l'enfer de ces fameux Camin Spital, hospices ou ces centres de neuropsychiatrie infantile, véritables mouroirs isolés en pleine campagne.
Bilteni, l'un d'entre eux, situé dans le département de Gorj, sera la première destination de François de Combret. Il y fait froid ; il installe une chaudière. Les murs du bâtiment sont vétustes ; il fait rénover les lieux. Il finit par rapatrier les enfants dans un établissement au centre de la ville. De Combret tâtonne face à la dure réalité d'un pays en pleine décomposition. Entre temps, un passage à l'antenne de TF1 lui permet de mobiliser des donateurs qui lui seront fidèles dans chaque étape de son parcours. Sera aura fermé une vingtaine de ces mouroirs dans plus de 15 départements et placé ces enfants dans des établissements modernes aménagés par l'association.
Devant l'ampleur de la tâche, la plupart des ONG ont déserté. François de Combret continue à se battre, sur le terrain pour humaniser les conditions de vie de ces petites victimes et dans les sphères du pouvoir pour faire changer les lois. Il rue dans les brancards, écrit aux hommes politiques. "
Le président roumain niait l'existence du problème", se souvient-il. En 1997, la Roumanie change de président. Un jeune homme, le docteur Tabacaru, adhérent de Sera, est nommé ministre de l'Enfance et fait immédiatement abroger la loi de 1970 en juin 1997. Il aura fallu attendre sept ans pour que les abandons ne soient pas systématiques. L'objectif de Sera n'est plus de rénover des orphelinats, mais de trouver un foyer pour ces enfants. "
Un hôtel cinq étoiles ne remplacera jamais une famille, ni une chaudière, la chaleur d'une mère", insiste François de Combret.
L'équivalent de nos Ddass est créé. Le métier d'assistante maternelle apparaît. L'édifice communiste se fissure. Les interlocuteurs de François de Combret changent. Son action se glisse dans les recoins du tissu social. Grâce à ses soutiens financiers aux familles défavorisées, 40 000 enfants ont pu échapper aux orphelinats depuis 1997. Le nombre de donateurs a augmenté, les budgets sont passés de 200 000 à 3 millions d'euro par an, alors que l'équipe est restée la même : trois permanents au plus fort de l'activité et une vingtaine de bénévoles en renfort. François de Combret voyage trois à quatre fois par an en Roumanie pour évaluer, recruter, engager des chantiers, au prix de vacances écourtées, de week-ends sacrifiés. Aucun service de communication à Sera ne met en scène la misère de ces enfants. François de Combret rédige lui-même des rapports qui précisent la situation, les objectifs de l'association, et racontent l'histoire des enfants. Les cas sont nombreux et graves. Les progrès sont souvent édifiants. Les enfants ne parlaient pas, ne marchaient pas. Soignés et entourés, ils retrouvent petit à petit un aspect humain. "
Aujourd'hui, l'ennemi n'est plus à Bucarest, mais à Bruxelles où la personne nommée au parlement européen et responsable du dossier de l'adhésion de la Roumanie à l'union européenne n'a qu'un but dans la vie : empêcher l'adoption", explique François de Combret pour qui la raison invoquée, le trafic d'enfants, empêche chaque année 4 000 enfants de trouver une famille d'adoption. Le cauchemar a recommencé. A 60 ans, sourire chaleureux et silhouette juvénile, François de Combret n'a pas renoncé. Pour lui, la sécheresse des prévisions, estimations et autres ratios financiers est compensée par les milliers de sourires d'enfants qui peuplent sa mémoire.
SOLIDARITE ENFANTS ROUMAINS ABANDONNES Après six ans de terrain (1991-1997), Sera a créé un service social, le premier du pays dans l'un des 41 départements de Roumanie, pour prévenir de l'abandon. Devant le succès de cette action, le gouvernement roumain a décidé en 1997, de créer des " services sociaux " dans tous les départements. Sera contribue à cette importante réforme en subventionnant le fonctionnement d'une quinzaine de " services sociaux " départementaux. L'association de François de Combret parle de " désinstitutionnalisation " des enfants abandonnés pour décrire son travail en faveur de leur adoption. Ce qui permet à une centaine d'entre-eux d'être accueillis chaque année en France, alors que depuis novembre 2000, l'adoption internationale est interdite en Roumanie. Sera contribue au placement de 5 000 enfants aujourd'hui dans des familles d'accueil rémunérées en Roumanie et à l'humanisation des conditions de vie de 20 000 autres orphelins. Sera - 13 rue Georges Auric - 75019 Paris, |